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  • Photo du rédacteurGwenn

MON PULLOVER ROUGE​

Je crois que je me souviendrai à jamais de ce moment sur la plage à Jersey lors de notre "escapade littéraire annuelle" entre filles, lorsque Dominique commença à raconter un moment qui l'avait beaucoup marquée, le jour où quelqu'un de sa famille avait effectivement vu un soldat avec son pull rouge, je l'ai suppliée de stopper sa narration, l'idée était là, il ne restait plus qu'à l'écrire et à la romancer... avec mes mots et ma sensibilité. 

Merci à Dominique sans qui cette histoire ne saurait exister, ce pullover est réel mais bien évidemment la romance s'est emparée de ce merveilleux fil rouge... 

L'exercice de la nouvelle est difficile, je ne sais si j'y arrive mais je prends beaucoup de plaisir ! Encore une fois ce n'est pas de la grande littérature, juste la mienne !!!


Je m’appelle Antoinette Le Maistre, j’ai 80 ans aujourd’hui, quel jour !

Je crois que je vais m’en souvenir jusqu’à mon dernier soupir sur cette terre.

Dans ma chambre où le soleil nous offre ses premiers rayons chauds et lumineux, le vent souffle et s’engouffre sous les fenêtres,  animant la pièce d’un son harmonieux et irrégulier. Mon Dieu que la vue est belle ! Le moulin au repos domine la Rance qui est d’une quiétude absolue. L’eau irisée remonte peu à peu la grève, quelques grues éparses se posent, picorent et tout d’un coup reprennent leur envol. L’hiver peu à peu s’enfuit et laisse ainsi  place à une certaine douceur printanière.

Il est grand temps pour moi de faire un bilan.

Je suis née en 1931, jusqu’à  dix ans, ma vie a été un fleuve de bonheur. Je baignais dans l’amour de ma famille.  Nous habitions une malouinière sur les bords de la Rance.

Dans ma chambre inondée par le soleil, j’évoluais entre mes poupées de cire et mes crayons gras. J’étais passionnée par le dessin.

Ma chère maman m’avait donc acheté 12 crayons pastels et un bloc de feuilles gros grain. Je pense que, dès la première semaine, j’avais du étudier chaque heure du merveilleux tableau qui se dévoilait devant moi.

Les bords de Rance n’avaient plus de secrets pour moi.

Papa était très fier de sa fille unique et faisait tout pour que je m’accomplisse. Les jours de beaux temps, nous allions pique-niquer à la plage et surtout retrouver mes cousines. Nous jouions à n’en plus finir sur le sable et nous baignions à en avoir les mains fripées. Nous avions la chance de ne pas nous soucier des problèmes que la vie pouvait engendrer.

Comme je vous l’ai dit, nous jouissions de la vie, jusqu’au jour où tout bascula…

12 juin 1941, la guerre sévissait depuis déjà quelques années, j’aidais papa à jardiner, nous aimions nous retrouver et pratiquer l’art de tailler les buis.

Un bruit de moteur se fit entendre dans l’avenue, une horde de camions militaires allemands arrivait.

Mon père lâcha immédiatement ses outils et m’ordonna de rentrer  auprès de ma mère.

La première voiture stoppa devant le perron, mon père s’avança, le gradé se présenta en saluant et prévint mon père que la maison était réquisitionnée jusqu’à nouvel ordre.

Maman et moi étions affolées et apeurées, je ne cessais de pleurer. Nous devions laisser nos chambres et nous installer au grenier. Les mois passèrent ainsi. Je descendais et me faufilais pour aller jouer dehors le plus souvent possible, je prenais également mon carnet à dessin, mes crayons, c’était mon échappatoire.

Je ne réalisais pas tout à fait la vie difficile de mes parents, ils devaient rester aimables mais, bien évidemment, bouillaient d’énervement à cause de la  comédie qu’ils devaient jouer.

Un soir, je revenais de promener le chien, lorsque je vis le Colonel Rumstäl astiquer son fusil.

Il l’astiquait, oui, mais il l’astiquait avec mon pullover rouge, mon pullover tricoté par ma tante Françoise qui avait été abattue par la gestapo six mois auparavant. Tout d’un coup, je haïs cette couleur. Le rouge versé par tous ces malheureux qui n’avaient pas demandé à disparaître. Ma tante, ma chère tante était un vrai modèle pour moi, tant de souvenirs, tant de moments passés à ses côtés me racontant des histoires… Il émanait de cette femme célibataire toute la douceur que le monde recherchait en ces temps de guerre. Je ne me remettais pas de son absence et ce pull était devenu pour moi d’une importance capitale.

Comment ce Colonel avait-il pu aller dans ma chambre et prendre mon pull sous mon oreiller ?

Je me devais d’affronter cet homme et récupérer mon bien, mon seul souvenir.

Une vision d’horreur m’envahit, j’eus peur, j’imaginais déjà la raison pour laquelle il nettoyait son fusil. Prise de panique je pris mes jambes à mon cou, me précipitai au grenier voir mes parents, craignant pour leur vie.

Je poussai la porte en criant. Maman tout simplement me dit de ne pas crier, qu’ils n’étaient pas sourds. Je fus immensément soulagée.

Je racontai la scène à mes parents.

Ma seule idée était de récupérer mon pull maintenant, je descendis quatre à quatre l’escalier et me précipitai vers cet homme, ce voleur.

Je lui arrachai mon pull en hurlant. Se sentant attaqué, il se retourna et la balle alla se loger dans son cou. Il tomba immédiatement. Oh… mon Dieu !  Qu’avais-je fait ? Tout le monde accourut en vociférant en langue germanique, moi, je devins hystérique car je comprenais ce que je venais de faire.

J’avais tué un homme, ce n’était bien évidemment pas ce que je voulais faire… Ils me prirent de force et me ligotèrent. Mes parents se précipitèrent et demandèrent des explications. Ils comprirent vite ce qui s’était passé et tentèrent d’expliquer au général ce que j’avais voulu faire. La chance fut de mon côté car un lieutenant se tenait non loin de nous à ce moment-là et put soutenir mes dires.

La petite fille au pull rouge était devenue bien malheureuse : elle avait enlevé la vie à un homme comme un homme avait enlevé la vie à sa tante. Sans que je le veuille, la vengeance s’accomplit toute seule, mais ma vie bascula évidemment vers le monde adulte, et ce, beaucoup plus tôt que je ne l’avais pensé.

Alors, en ce jour anniversaire, jour où il nous faut quitter notre malouinière, je vide ma tête de mes souvenirs, je me libère enfin. Tu vois, Priscille, mon enfant, ce pullover rouge dans cette cantine, s’il te plait, ne le jette jamais : il est toute ma vie.

Voilà mon histoire, ma chérie, sache l’accueillir et qu’elle se transmette de génération en génération dans notre famille. Fais de cette malouinière un havre de paix et d’amour entre les hommes, n’oublie jamais ta mission.

FIN...




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